SELON LES INNUS DU LABRADOR
Notre territoire de chasse n’a plus aucune valeur pour nous, car nos pièges et nos biens personnels se trouvent maintenant enfouis sous l’eau. Nous avons perdu la majeure partie des biens fabriqués par des Autochtones. J’ai perdu deux canots, environ 300 pièges, des raquettes, des grattoirs à cuir de caribou, des dispositifs d’ensouplage, des ciseaux à glace, des haches et bien d’autres objets. Nous savions qu’il allait y avoir un barrage sur le fleuve (Churchill), mais nous ignorions ce que cela signifiait. Nous n’avions aucune idée de ce que serait le niveau de l’eau. Au plus, nous comparions le projet à un barrage qu’un castor construisait sur une rivière — les membres des Premières Nations n’ont pas été consultés du tout quant à ce qui allait se passer. J’ai éprouvé beaucoup d’amertume lorsque j’ai découvert que nos terres avaient été inondées. Nous ne pouvions pas faire grand-chose.
PENOTE ASHINI, 1981
J’imagine que le gouvernement a aménagé le grand fleuve parce qu’il pouvait faire de l’argent en vendant de l’électricité et qu’il pouvait créer des emplois. Toutefois, le gouvernement ne vit pas sur le territoire, il ne subit par conséquent pas de préjudices. Par ailleurs, nous avons été profondément blessés de constater la destruction de nos terres, des terres qui avaient assuré notre subsistance pendant des milliers d’années. Le gouvernement a agi comme s’il était le propriétaire de nos terres. Il vole la terre qui appartient aux Innus.
ELIZABETH PENASHUE (TSHAUKUESH), 1991
Avant les perturbations, avant l’inondation du Meshikamau, il y avait de la truite partout dans les ruisseaux. Avant que le lac soit perturbé, j’ai déjà vu un Innu qui pêchait d’énormes truites à Kanekuanekat. Maintenant, personne n’a connaissance de la présence de truites là-bas. De plus, le poisson n’est pas bon du tout, OK! C’est à cause de l’eau. Le poisson n’a même pas le goût du poisson. Il n’a aucun goût. C’est parce que l’eau est contaminée. L’eau est morte.
PIEN GREGOIRE (JR), 1993
« En 1975, sans avertir les familles innues, le projet de centrale hydroélectrique Churchill Falls a inondé une bonne partie de la région du lac Michikamau, inondant ainsi la majorité des chemins qu’empruntaient les Innus, les campements en eau libre et les cimetières, de même que les sentiers qu’empruntaient les caribous et les aires de nidification du gibier d’eau. La région du lac Michikamau a, pendant longtemps, été un lieu de rassemblement important, où les familles innues se réunissaient pour renouer leurs liens sociaux et spirituels. Sans aucun préavis, les familles innues ont perdu l’équipement qui se trouvait dans les caches ainsi que l’accès à un lieu qui revêtait une grande importance pour elles. J’ai souvent entendu des aînés innus parler avec une grande tristesse de la perte des camps du Michikamau; ils se demandaient aussi quelle partie du passé des Innus gisait sous les eaux du réservoir Smallwood. Mon propre grand-père a perdu ses canots, sa tente et tout son équipement de piégeage; il évoquait avec tristesse les anciens lieux de sépulture qu’il connaissait et qui étaient maintenant submergés.
En 1995, après plusieurs années au cours desquelles il y avait eu peu d’accumulation de neige, les niveaux de l’eau du réservoir avaient été de nouveau abaissés jusqu’à l’ancien niveau du lac, exposant le littoral et l’emplacement des anciens campements des Innus. J’étais curieux de savoir s’il y avait encore des traces de ces anciens lieux. En compagnie de mon oncle, j’ai eu la possibilité de servir de guide à une équipe d’archéologues, afin de voir s’il était possible de trouver des traces de l’histoire des Innus. En un rien de temps, nous avons trouvé des vestiges de bon nombre de campements innus datant de la période historique ainsi que des outils en pierre laissés par des chasseurs innus et leur famille, des centaines, si ce n’est des milliers d’années auparavant. À un endroit, sur une butte surplombant le lac, qui avait pendant longtemps été un lieu de sépulture innu, nous avons découvert que les eaux du réservoir avaient détruit la dernière demeure des anciens; on a vu la tombe d’un jeune Innu qui avait été emportée par l’érosion. Nous avons rassemblé les fragments d’os et le crâne, puis nous les avons réenterrés dans la forêt, afin de les protéger de l’érosion attribuable aux hautes eaux du réservoir. »
DANIEL ASHINI, ANCIEN GRAND CHEF DE LA NATION INNUE DU LABRADOR, 2007